INTERVIEW | L’abbé Séguy de retour de Saint-Jacques-de-Compostelle : “Une partie de la jeunesse attend une réponse de l’Église”

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Publié le 29 août 2023

Monsieur l’abbé, vous êtes allé de Nègrepelisse à Saint-Jacques-de-Compostelle à pied. Avez-vous, avant votre départ, suivi un entraînement particulier, qu’il soit physique ou spirituel ?

On ne part pas sans préparation pour un périple aussi long . Aussi, je me suis imposé un programme avant le départ.  D’abord je me suis renseigné, dans les livres ; la production littéraire de témoignages ou de guides est abondante. Je citerais l’incontournable Priez pour nous à Compostelle, de Barret et Gurgand, un Guide pour Compostelle ; Pèlerins de l’an 2000 , édité par Jeunes Chrétiens Services  et, dans un style différent, Immortelle Randonnée, de Jean-Chistophe Rufin.

J’ai ensuite tracé un premier projet de route  et un calendrier : je voulais partir après le froid et avant la chaleur, et, rentrer impérativement pour l’ordination de Jean-Baptiste Baudel, le 2 juillet. J’ai consulté un certain nombre de personnes de mon entourage, qui avaient fait le pèlerinage et essayé de retenir la masse de conseils reçus ( du chargement du sac aux menus et au traitement des ampoules, crampes et tendinites).

Spirituellement, je suis allé faire une retraite de cinq jours dans l’ abbaye Saint-Joseph de Clairval. En redescendant en voiture, j’ai suivi la Via Podiensis du Puy-en-Velay  jusqu’à Cahors. J’ai fait mon testament et mis un peu d’ordre dans mes affaires. 

À partir du mois de novembre, j’ai commencé l’entraînement physique : de petites étapes de cinq km, puis dix, puis quinze, la distance que j’avais fixée dans mon projet. Sans sac  à dos, puis avec le sac. Le lundi de Pâques, 10 avril, j’étais fin prêt.  J’ai fait bénir mon sac et mon bâton, j’ai reçu la bénédiction du pèlerin, fermé la porte de ma maison et donné les clés à ma nièce. Ultreia* ! 

Pourriez-vous nous livrer un peu de ce que vous avez vécu sur votre chemin ?

C’est un chemin de découvertes : d’abord de soi-même, parce que je suis parti sans vraiment être sûr d’arriver au bout. Je ne suis pas un grand sportif, j ’ai 75 ans, et je ne savais pas comment réagirait mon corps sur la longueur. Je me suis rendu compte qu’avec le rythme que je m’étais imposé, c’était très faisable.  J’ai vite pris les habitudes des pèlerins : lever très matinal, lessive et douche dès l’arrivée, coucher très tôt.

Ensuite, découverte du chemin, de la nature et de l’œuvre des hommes qui ont embelli le chemin, de la disponibilité et de la bienveillance des hospitaliers pour l’accueil des pèlerins à toutes les étapes ( mention spéciale à Saint-Jean-Pied-de-Port, à Saint-Palais, à Navarrete et  à Rabanal del Camino). J’ai été gâté par le temps : quelques jours de froid, de pluie, mais dans l’ensemble un temps plutôt clément.

Découverte aussi de nombreux pèlerins : des Coréens, qui me demandaient leur bénédiction, des jeunes Canadiennes, qui ont participé à ma messe sur le bord du chemin, un jeune, qui a rameuté pour le dimanche une dizaine de pèlerins de notre auberge, deux jeunes, qui ont beaucoup discuté d’avenir et de vocations, des compatriotes de Montauban, Larrazet, Saint-Etienne-de-Tulmont, sans oublier Anita qui m’a accompagné pendant dix jours.

À l’arrivée, un prêtre de Toulouse faisait l’accueil des pèlerins français. Il a été mon confesseur, puis mon guide pendant mes trois journées compostellanes. Je n’ai pas eu les problèmes physiques que je redoutais et, à l’arrivée, aucune sensation de fatigue, mais sur la fin, un désir intense d’arriver. Deux mois et demi, c’est long !

L’incident majeur, qui a failli interrompre mon pèlerinage, a eu lieu à Larceveau, juste avant Saint-Jean-Pied-de-Port. J’ai perdu ma carte bleue. J’ai donc décidé de rentrer et, dans le train vers Bayonne, amis, scouts et famille m’ont convaincu de continuer. Après une halte chez un de mes anciens scouts, je suis reparti, ma nièce a fait refaire ma carte et me l’apportée à Logroño.

Outre les merveilles de Pampelune, Burgos , Leon et Saint-Jacques, je garderai  deux lieux dans ma mémoire : Rabanal del Camino, où j’ai pu m’unir dans une petite chapelle romane aux heures monastiques d’un petit monastère de bénédictins allemands, qui accueillent les pèlerins et chantent merveilleusement leur office en grégorien, et O Cebreiro, où l’on vénère les vases sacrés d’un miracle eucharistique : les espèces du pain transformées en chair. Je suis allé, en car, au Cap Finistère et surtout à Muccia, sanctuaire de Notre-Dame de la Barque, imposante chapelle sur les rochers et vue sur l’infini , l’Occident, qui fascine beaucoup de voyageurs.

J’ai pu, tout au long du pèlerinage, réciter les heures du bréviaire grâce à mon portable , et célébrer la messe tous les jours à l’auberge ou dans la nature avec une « valise-chapelle » réduite mais digne.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui hésitent à se lancer sur les routes d’un pèlerinage si long et parfois difficile ? Quelles lectures leur conseilleriez-vous d’emporter avec eux ?

Les conseils, que l’ont m’a donnés, m’ont beaucoup aidé : ne pas s’encombrer de trop de choses. Le sac est toujours trop lourd. Les guides donnent de bonnes indications sur le minimum à prendre. C’est une belle leçon de détachement du superflu pour s’en tenir à l’essentiel.  Sans vouloir faire de publicité, le guide Miam miam dodo m’a été profitable et me paraît presque indispensable . J‘ai regretté, pour les après-midis, l’absence de livres, mais ils sont très lourds. Peut-être, c’est l’avantage de la modernité, les livres par internet pourraient faire l’affaire. J’ai profité de cette opportunité pour réciter mon bréviaire et célébrer la messe.

J’ai choisi de faire ce pèlerinage d’un seul trait : je voulais me mettre dans l’esprit de ceux qui, autrefois, partaient en laissant tout et sans savoir s’ils reviendraient. Ce fut une belle expérience  de lâcher-prise, d’abandon à la Providence et l’on est amplement récompensé par les soutiens spirituels, physiques et matériels que l’on reçoit.

J’avais choisi de partir seul, on n’est jamais totalement seul sur le Camino, surtout quand on a besoin d’aide. J’ai vu de merveilleux exemples de solidarité entre pèlerins qui donnent une belle image des ressources cachées en l’homme. Le pèlerinage, c’est une image de la vie : si on ne fait pas le premier pas, on n’apprendra jamais à marcher, si on n‘ouvre pas les voiles, le bateau ne partira pas, et si l’on ne se lance jamais, on ne vit pas. Je ne regrette pas dans ce pèlerinage, et dans ma vie de prêtre, de m’être  dit : «  Ultreia* ! ».

Vous êtes un ancien du diocèse. On entend beaucoup, que ce soit dans la presse ou au sein même de l’Eglise, que la France et plus largement l’Occident, sont en voie de déchristianisation. Quelle évolution réelle avez-vous observé sur le terrain au fil des années ? Selon vous, quelles perspectives s’ouvrent à l’Eglise de demain ? 

Cette question m’embarrasse beaucoup. Car je suis un vieux prêtre et je n’ai pas vocation de donneur de leçons. De mon «  ermitage » je peux constater certaines évolutions : la jeunesse de mes 20 ans était très militante : nous n’avions pas de problèmes d’emploi, d’avenir. Nous avions des soucis de « riches » : c’est facile de rêver refaire la société quand celle-ci vous offre toutes les facilités du bien-être.

Aujourd’hui, il me semble que la vie des jeunes est devenue plus difficile en terme d’avenir, ce qui paradoxalement les pousse à profiter du présent avec avidité et sans retenue. Le long terme semble peu intéresser le monde des jeunes, des adultes et même des dirigeants de notre monde. Seule peut-être l’écologie et l’avenir de la planète semblent interroger les foules, à condition de ne pas trop bousculer leurs habitudes de nantis. On se mobilise pour des intérêts catégoriels sous le coup des émotions, largement exacerbées par les médias puis on retombe dans l’apathie jusqu’à la prochaine éruption.

C’est un véritable défi pour les chrétiens : la spécificité de la nature humaine, son besoin de salut et sa promesse de vie éternelle sont de plus en plus loin des préoccupations du grand nombre. La quête de sens trouve dans le monde des médias des réponses diverses des plus saintes aux plus farfelues ( je l’ai constaté en parlant à de nombreux pèlerins). Il est important que le message et la personne de Jésus-Christ  trouvent des témoins authentiques et courageux. Les JMJ de Lisbonne ont montré qu’une partie de la jeunesse attend une réponse de l’Eglise, une réponse qui soit originale, unique parce que fondée sur le roc de la foi, sur l’expérience des siècles et sur le souffle du Saint-Esprit.

Quels conseils ? Que nos petites communautés soient unies, ferventes, accueillantes. Que les jeunes surtout y reçoivent la nourriture spirituelle nécessaire à la croissance de leur vie chrétienne; pour cela, un gros travail de formation des personnes engagées est nécessaire , on ne peut pas enseigner, célébrer et faire n’importe quoi avec bonne volonté. J’ai constaté dans ma vie de prêtre et sur le chemin l’ignorance abyssale des gens en matière de connaissance de la foi . Trois générations ont si peu reçu  comme enseignement et colportent des phantasmes nourris à diverses sources. Les chrétiens doivent faire entendre une parole claire, exigeante et aimante. «  La charité dans la Vérité, la Vérité dans la Charité ». La chrétienté est morte, l’Eglise  est toujours vivante. Elle peut inventer, à l’image des premiers chrétiens, une minorité humble mais fière, courageuse et rayonnante. «  Voyez comme ils s’aiment », dans leurs différences mais dans l’unité de la foi, dans leurs sensibilités mais dans le respect, dans leurs diversités mais dans leur complémentarité.

* Ultreia, du latín ultra — au-delà — et eia, interjection évoquant un déplacement, est une expression de joie du Moyen Âge, principalement liée au pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. C’est une expression que se lancent les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle dans les moments difficiles, et dont le sens peut être traduit par : « Aide-nous, Dieu, à aller toujours plus loin et toujours plus haut ». Dans cette formulation, on retrouve évidemment, les deux dimensions du Chemin : la dimension horizontale de l’être qui avance, et la dimension verticale qui permet de s’élever vers l’entité à laquelle on s’adresse.

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